
L’époque que nous vivons nous amène à une réflexion profonde sur les pratiques et les modèles éducatifs actuels. Éduquer, du latin “e-ducere”, signifie faire émerger, faire apparaître.
La clairvoyance des anciens, qui définissaient si efficacement la relation avec l’enfant, est toujours frappante. Celui qui s’est fixé pour objectif d’observer un nourrisson, a perçu en lui une étincelle, une flamme brillante, et a compris que sa tâche n’est pas seulement de la protéger, mais aussi de la cultiver et de la faire émerger.
La définition de la naissance est également emblématique : “venir à la lumière”. Ainsi, dans l’enfant, qui surgit des ténèbres mystérieuses du ventre de sa mère et des forces cosmiques qui permettent la vie, le miracle de la création se renouvelle et le voyage de cette flamme intérieure commence, éclairé par la curiosité et la sensibilité, prêt à construire l’homme ou la femme qui sera, avec son talent bien à lui, sa personnalité, ses idéaux.
L’enfant possède en lui, dès la naissance, tous les ingrédients génétiques et karmiques pour se construire. Il commence son développement physiologique et sensoriel dès le ventre de sa mère ; cependant, c’est après la naissance, dans la lumière et immergé dans le monde, qu’il recevra de l’environnement tous les stimuli nécessaires pour construire les connexions “synaïtiques”, les capacités motrices et les trois compétences uniques qui en font un privilégié parmi les vivants : le perfectionnement ” jusqu’à la motricité”, du langage, du raisonnement.
Par la main et la parole, l’enfant donne forme et substance à des expériences sensorielles, des portes grandes ouvertes pour acquérir le langage du monde.
En très peu de temps, un nouveau-né ne possédant que les capacités de l’instinct naturel peut apprendre à marcher, à manipuler et à utiliser des objets, même petits, et à parler une langue avec une exactitude phonétique, sémantique et grammaticale. Tout cela se passe naturellement, grâce aux outils dont il dispose depuis sa naissance : ce merveilleux organe qu’est le cerveau humain et qui est activé immédiatement par l‘apprentissage par observation.
Il a été démontré que l’enfant possède un “esprit absorbant” ( hypothétisé par Maria Montessori et confirmé par les recherches du professeur Giacomo Rizzolatti sur les “neurones miroirs”) grâce auquel l’enfant absorbe et reproduit le comportement social, moteur, verbal et non verbal de l’adulte qui s’occupe de lui.
Grâce à l’esprit qui absorbe le monde, le nouveau-né façonne son “réseau synaptique” et ses capacités motrices, et réalise ainsi la construction de lui-même, en termes neuronaux et musculaires, dans l’homme ou la femme qu’il sera.
L’adulte est donc le défenseur et celui qui nourrit la lumière intérieure qui brille chez l’enfant, l’exemple humain qui rend possible pour le nourrisson un chemin équilibré de croissance naturelle.
Il est nécessaire, tout d’abord, que l’éducateur se place à la hauteur du “petit homme”, qu’il s’élève dans sa dimension spirituelle, en retrouvant cette vision aiguë et authentique du monde qui lui appartenait lorsqu’il était enfant.
Le poème de Janusz Korczak – “Quand je redeviens enfant” – est révélateur à ce propos : il vous faut « …
S’élever à la hauteur de leurs sentiments. Se relever, s’étirer, se tenir sur la pointe des pieds.
Pour ne pas leur faire de mal ».
Pour ce faire, il suffit de se laisser guider par l’observation, car l’enfant qui est laissé libre de choisir et d’explorer, dans un environnement rendu sûr, riche en stimuli et en matériaux autocorrecteurs, exprime spontanément tous ses besoins naturels et oriente l’intervention de l’adulte dans le sens nécessaire pour qu’il puisse réaliser une “construction de soi” autonome.
L’éducateur identifie ainsi les points d’intérêt de l’enfant et lui offre des stimuli d’apprentissage proportionnels à ses forces et à ses compétences, dans cette tension permanente entre frustration et satisfaction qui pousse l’être humain à se remettre en question et à s’améliorer, en guidant l’enfant par l’exemple humain et une présence discrète.
Les gestes de la vie quotidienne deviennent alors des stimuli d’apprentissage : le soin de soi et de l’environnement qui amène l’enfant à satisfaire son sens inné de l’harmonie, de l’ordre et de l’esthétique. Grâce à l’utilisation d’instruments adaptés à ses petites mains et proportionnés à sa force, grâce à l’exemple de l’adulte, l’enfant apprend cette ritualité des séquences et de la grâce qui le guide vers le développement du perfectionnement moteur et psychique.
L’adulte qui lui parle et lui fait la lecture de manière continue et constante lui fournira toutes les stimulations nécessaires pour apprendre sa langue maternelle de la meilleure manière possible, afin qu’il puisse communiquer avec ses semblables, parler de lui et de sa propre existence.
L’éducateur qui sait offrir à l’enfant la contemplation, l’exploration sensorielle et le respect de l’environnement naturel facilite le développement de l’observation, de la capacité à théoriser et des recherches empiriques qui sont typiques de l’érudit, le mettant en contact profond avec sa nature humaine, ouvrant la curiosité de l’enfant aux questions existentielles et cosmogoniques.
Tout cela implique pour les parents un grand investissement de temps, de dévouement et de patience afin de faciliter le développement naturel du haut potentiel humain de leurs enfants.
Il est donc essentiel que la progéniture puisse bénéficier d’une relation constante et continue avec ses éducateurs, qui représentent le “monde” et en même temps les clés pour en découvrir les secrets.
Une fois qu’une relation solide avec les parents a été établie au cours des premières années de la vie, l’enfant sera alors prêt à explorer seul le milieu environnant et à développer la relation avec ses pairs.
Le besoin d’avoir des relations avec d’autres êtres humains commence à se manifester, une externalisation du besoin naturel de s’affirmer dans la société.
À l’école, le travail de développement des compétences relationnelles devient plus important en raison de l’inévitable confrontation avec les besoins et la “personnalité” des autres enfants ; et dans cette phase, l’orientation judicieuse des éducateurs professionnels devient alors très décisive.
Par le biais d’une formation adéquate et continue, ils sont appelés à traduire les besoins relationnels et cognitifs du “petit homme” en expériences sensorielles, dans un environnement aussi riche en stimuli, adéquat et sûr que possible.
Le processus éducatif ne peut se réduire à la simple énonciation de notions et de connaissances abstraites, en revanche, il est nécessaire que l’éducation amène l’enfant (puis l’adulte que celui-ci deviendra) à poser les bonnes questions afin de trouver des solutions, parfois divergentes et innovantes, pour réussir dans la vie.
L’éducateur devra alors s’inspirer de la maïeutique de Socrate : sa tâche sera de faire ressortir les connaissances inhérentes à la structure “intérieure” de l’enfant (Maria Montessori disait “l’enfant est un maître”), en stimulant une série de questions qui l’amènent à chercher une réponse, de plus, il sera nécessaire de préparer des expériences sensorielles, des ateliers et des stages qui invitent l’enfant à poser de nouvelles questions sur la nature des choses.
Le célèbre sociologue Edgar Morin a posé deux questions essentielles qui devraient guider l’éducateur : “quel monde donnerons-nous aux enfants” et en même temps “quels enfants donnerons-nous au monde”.
Là encore, les anciens nous aident : l’éducation en grec était la “Paideia”, non pas le moyen d’atteindre un but formateur, mais le but même du processus de formation, cet idéal platonique de perfection morale, culturelle et civilisée auquel l’homme doit tendre, par une activité continue, jamais complète, qui engage toutes les ressources de l’individu, et par laquelle il se réalise pleinement en tant que sujet autonome, conscient de lui-même et en harmonie avec le monde.
Conformément à cette vision de l’éducation, le paradigme pédagogique de l'”Éducation Cosmique” de Montessori émerge dans toute sa force : dans un univers où tout est interconnecté, la loi intérieure de l’homme répond à celle du “Plan Cosmique” de la vie, présidée par les lois de l’ordre et de l’harmonie. En vivant en harmonie avec le plan cosmique, en prenant soin de la vie sous toutes ses formes, l’être humain prend conscience de son “être dans le monde” et participe à l’existence. Le premier environnement à prendre en charge est donc le monde lui-même, de sorte que les autres environnements sociaux – la famille et l’école – se conforment à ces impulsions créatives qui tendent, sur le guide des lois cosmiques, à atteindre la perfection humaine, ce qui exige la conquête de l’indépendance morale en tant que perfection personnelle.
Une véritable éducation sera donc guidée par l’amour et la confiance dans le potentiel de l’enfant qui se développe et grandit avec lui, tout en évoluant avec ses besoins naturels, respectant son potentiel humain, facilitant la prise de conscience de son rôle dans le monde : un être humain animé par le désir d’élever la vie aux plus hauts niveaux de bien-être physique et moral, un libre penseur qui poursuit le bien de ses semblables et du monde qui l’accueille et le nourrit, un chercheur, un médiateur, un bâtisseur de ponts, un explorateur de frontières.